La crise ukrainienne : quelles répercussions sur le marché du pétrole et du gaz pour l’Algérie ?

Rédaction (A.M)
Hydrocarbures
Rédaction (A.M)21 mars 2022
La crise ukrainienne : quelles répercussions sur le marché du pétrole et du gaz pour l’Algérie ?

Mr. Abdelmadjid ATTAR a bien voulu nous livrer son analyse des impacts sur les marchés pétrolier et gazier, et les scenarios objets de multiples débats. Pour lui, et à moins d’une généralisation du conflit avec la Russie, le marché pétrolier va demeurer certes volatile, mais ne franchira pas les records annoncés sur de longues périodes. Le prix du gaz demeurera par contre élevé au moins à court et moyen terme, tout en renforçant sa position dans le mix énergétique mondial, et les retombées sur l’Algérie ne pourront qu’être positives à moyen terme en matière d’attraction de nouveaux investissements en partenariat. Mais cela ne doit pas empêcher le pays à accélérer sa transition énergétique à travers un accroissement du recours aux énergies renouvelables.    

Que peut représenter la crise ukrainienne et ses répercussions sur le marché du pétrole et du gaz pour l’Algérie à moyen et long terme, d’autant plus qu’il y a une pression européenne pour augmenter le pompage de gaz et que d’autre part la Russie est un allié stratégique de l’Algérie ?

R : Il est évident que la crise ukrainienne a en ce moment un impact important sur le marché de l’énergie en général, qu’il s’agisse de pétrole, de gaz ou d’électricité tout court, et par conséquent toute autre activité de production de biens ou de services dépendant du prix de l’énergie. Ces répercussions vont durer des mois et peut être même des années parceque l’ordre mondial qu’il soit économique, géopolitique, ou énergétique est appelé à muter en fonction de l’aboutissement de cette crise qui, il faut le reconnaitre est mondiale maintenant. Il est peu probable que le prix du pétrole se détache trop à moyen terme d’une moyenne autour de 100$. Les producteurs de l’OPEP+ eux-mêmes sont conscients que cela n’est pas dans leur intérêt. L’augmentation des carburants est en train de pousser des gouvernements à les soutenir avec des subventions (France) et parfois des taxes exceptionnelles sur les bénéfices (USA), ce qui n’est pas un bon signe pour les impacts futurs d’une éventuelle augmentation du baril à l’avenir.

Le prix du gaz va se maintenir aussi à un niveau élevé, avec des records comme on l’a vu en Europe, mais sur de courtes durées. Cependant, il est clair qu’il va devenir une ressource très convoitée parceque aucune autre ressource énergétique ne pourra le remplacer pendant des décennies. Tout dépendra des mécanismes contractuels et de marchés qui vont certainement évoluer : vers des échanges plus importants à travers des contrats à moyen et long terme ou le spot ?

Les recettes d’exportation vont certainement augmenter pour le grand bien du pays, mais il ne faut pas faire la « fête », car d’une part, personne en ce moment ne sait combien cela va durer, et d’autre part, le cout des importations (matières premières, biens de consommations, services, etc…) va aussi augmenter de façon importante. On a souvent vu ces prix augmenter dans le passé, sans revenir en arrière même quand les crises ou les conflits prennent fin. Mais il y aussi une hypothèse à envisager meme si elle n’est vraiment pas souhaitable : en cas de conflit général, c’est-à-dire une 3ème guerre mondiale, c’est la demande sur les marchés des hydrocarbures qui va en pâtir avec ce que cela va entrainer comme baisse du prix du baril et du gaz dans une économie mondiale en ruine.

Pour ce qui est de la pression européenne d’une part, et le caractère stratégique des relations de l’Algérie avec la Russie, je pense qu’il y a lieu de préciser d’abord que sur le plan politique l’Algérie a toujours eu une position de non alignement quand il s’agit de conflit entre d’autres parties. Sur le plan énergétique et commercial, elle a un niveau de production en adéquation avec ses capacités, ses besoins internes, et ses engagements contractuels en matière d’exportation, et je pense qu’elle continuera à les respecter. De toutes les façons, les capacités actuelles ne permettront ni de répondre à une pression, ni de prendre la place de tel ou tel fournisseur, aussi bien à court qu’à moyen terme.

La guerre d’Ukraine et la crise énergétique mondiale pourraient-elles être à l’origine de l’afflux d’investissements européens vers l’Algérie dans les secteurs du pétrole et du gaz et du lancement de partenariats avec Sonatrach ?

R : Cette crise va entrainer de nouvelles politiques toutes basées sur la sécurité et l’indépendance énergétiques. C’est un processus qui a en réalité démarré depuis au moins une décennie. La répartition géographique des ressources, le type de marché, les volumes des échanges et les moyens pour les réaliser (je pense surtout au gaz naturel par gazoducs ou en GNL), la part du nucléaire et des énergies renouvelables, tels qu’ils sont actuellement, ne permettront pas à beaucoup de pays gros consommateurs d’atteindre l’objectif « indépendance énergétique à moyen terme.

Cette période de transition va entrainer à mon avis très rapidement à un besoin d’approvisionnement énergétique nouveau en termes de volumes, d’origine géographique, de nature, et d’engagement contractuel. Il donnera naissance à des possibilités de nouveaux investissements et partenariats au vu des immenses potentialités de l’Algérie, mais il faudra aussi s’y préparer de notre côté parceque la compétition sera dure, et la période transition (économique) courte.

Pensez-vous que l’Europe financera des projets énergétiques en Algérie comme le gazoduc « Nigeria Algérie Europe », des projets d’énergie solaire et d’hydrogène vert en Algérie et reliant la France à l’Espagne pour permettre au gaz algérien d’atteindre la France et le cœur de l’Europe ?

R : Pour ce qui est du gazoduc « Nigéria-Algérie-Europe », je rappelle que s’il n’a pas pu démarrer dans le passé, c’est pour trois raisons majeures parmi d’autres :

  • D’abord le marché destination qui n’était pas assuré pour des raisons de prix et de compétition avec d’autres producteurs et fournisseurs.
  • Deuxièmement le problème de « la propriété » du gaz produit au Nigéria, et ce d’autant plus qu’il s’agit de gaz associé en partie.
  • Et enfin l’importance du montant à investir (24 Mds $ il y a 20 ans) que seules de grandes compagnies (européennes à l’époque) pouvaient mobiliser.

Les autres problèmes de sécurité régionale sont venu se greffer à tout cela, mais ils sont gérables à mon avis, maintenant que nous commençons à entrevoir une nouvelle configuration géopolitique et énergétique du monde, qui sera très favorable à ce projet en premier lieu dans l’intérêt de l’Afrique.

Pour ce qui est des énergies renouvelables et de l’hydrogène, l’intérêt de l’Europe s’est déjà exprimé bien avant le conflit actuel, surtout en ce qui concerne l’hydrogène. Mais il ne faut pas perde de vue que cet intérêt sera lié à deux paramètres majeurs :

  • Le besoin de diversification des sources d’énergie de l’Europe d’une part.
  • Mais aussi et probablement plus à l’avenir la limitation du niveau de dépendance.

L’hydrogène est un vecteur d’énergie qui va être développé, surtout le vert dès que son prix de revient va devenir compétitif, plus rapidement qu’on le croit, et l’Afrique du Nord dont l’Algérie sera en mesure d’en produire des volumes importants à long terme.

Selon vous, la crise actuelle du gaz va-t-elle pousser l’Europe à conclure des contrats gaziers à plus long terme avec l’Algérie, jusqu’à 20 ans ?

R : Je ne pense pas qu’on puisse revenir, du moins dans les années à venir à ce type de contrat à long terme, du moins sur des durées aussi importantes de 20 ans et plus, parceque le conflit actuel et ce que sera le monde d’après, vont induire beaucoup d’incertitudes à tous les niveaux. Il est vrai que les prix de l’énergie, et plus particulièrement celui du gaz naturel, n’auraient pas atteint les niveaux connus en 2021 et plus encore maintenant si les contrats étaient tous ou presque de long terme. Beaucoup de compagnies ou de pays qui ont opté pour le marché spot ou l’indexation du prix du gaz sur le marché spot l’ont regretté d’ailleurs.

D’autre part il faut préciser que le choix du contrat à long terme dépend aussi d’autres paramètres comme l’engagement du client en tant que partenaire/investisseur au niveau de la source (gisement, liquéfaction) ou du marché, la taille des réserves à exploiter, la stabilité politique et législative, etc…

Au-delà de ces paramètres, les deux dernières décennies ont complètement modifié les échanges gaziers dans le monde avec l’arrivée de nouvelles réserves, de nouveaux producteurs, des échanges sur de très longues distances grâce au GNL dont le marché va pratiquement supplanter celui des gazoducs à moyen et long terme. C’est pour toutes ces raisons que je pense que les durées de contrat de 20 à 30 ans sont à oublier, mais ceux à moyen terme d’environ 10 ans vont certainement se multiplier, y compris pour le marché du GNL, parceque le paramètre sécurité d’approvisionnement va demeurer capital.

Une dernière question : la crise ukrainienne peut-elle pousser l’Algérie à investir dans le gaz  de schiste dans les années à venir ?

R : La principale raison qui pourrait pousser l’Algérie à investir dans le développement du gaz de schiste dans les meilleurs délais est sa sécurité énergétique et non la crise ukrainienne. Et pour être plus précis, au-delà de la sécurité énergétique, il y va aussi du développement économique du pays ou de son avenir tout court. Il s’agit de la rente provenant des exportations de pétrole et de gaz. Elle sera encore nécessaire bien plus que 10 ou 20 ans. Il faut regarder la réalité en face, car un simple calcul très basique montre que le pays sera obligé d’arbitrer dès 2028 ou 2030 entre la consommation ou la réduction importante de ses exportations en gaz conventionnel dont les réserves s’amenuisent. Il en est de même pour celles du pétrole, dont aussi bien le marché, c’est-à-dire le prix du baril pourrait, , que la demande, pourraient faire face à des crises baissières à l’avenir.

Je comprends parfaitement qu’il s’agit d’un problème sensible et qu’il y a des craintes et meme des risques, mais il y a aussi les technologies, le savoir-faire, et la réglementation pour les prévenir comme cela s’est toujours fait au sein du secteur des hydrocarbures, qu’il s’agisse de conventionnel ou non conventionnel.

Cela ne signifie pas non plus qu’il faut négliger ou abandonner les investissements en énergies renouvelables et en économie d’énergie. Au contraire, il faut les multiplier et leur accorder meme plus de priorité que les hydrocarbures, ces derniers ayant déjà plus d’attractivité (et de ressources) en matière de partenariat avec de grandes compagnies, et par conséquent moins d’obligation d’engagement financier (investissement) de la part de l’Etat ou de la Compagnie Nationale.

Certes, il faut se préoccuper de la protection de l’environnement et contribuer à la lutte contre les impacts du réchauffement climatique pour en éviter les conséquences catastrophiques, mais la sortie des sources d’énergie fossiles n’est pas aussi simple qu’on le croit. Elle nécessite du temps, beaucoup d’investissement et une stratégie adaptée aux moyens et ressources disponibles. Dans les conditions propres à l’Algérie ou l’énergie est largement subventionnée, elle doit démarrer en premier par l’efficacité énergétique qui est action urgente et meme facile à mettre en œuvre, à travers un changement radical du modèle de consommation énergétique. Il faut cesser de croire que la transition énergétique ne concerne que la consommation d’électricité à remplacer par du renouvelable, car la consommation finale d’énergie comprend aussi une part importante d’énergie pour la mobilité (transport), le chauffage, et l’industrie.  Cela signifie donc qu’il faut consommer moins d’énergie et de façon raisonnable dans tous ces secteurs. Les solutions existent : sensibilisation du consommateur, nouvelles technologies dans les équipements de consommation y compris la mobilité surtout, plus d’énergies renouvelables aussi pour remplacer progressivement celle d’origine fossile, et bien sûr révision des prix et taxes sur l’énergie.

Une chose est sure : la transition énergétique du pays ne pourra pas se faire sans gaz naturel, et les réserves conventionnelles actuelles ne sont pas suffisantes pour assurer à moyen et long terme la sécurité énergétique et les besoins financiers assurés aujourd’hui essentiellement par les exportations d’hydrocarbures. Une partie de l’Europe a cru qu’elle allait pouvoir réduire rapidement les hydrocarbures, le charbon, et le nucléaire. Bien avant le conflit ukrainien, ils ont commencé à considérer le gaz et le nucléaire comme source d’énergie propre, et placé l’indépendance énergétique au cœur de leur stratégie de développement.

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