Réserves mondiales : Vers un pic de la demande ou de l’offre en hydrocarbures ?

Fakhreddine Messaoudi
Hydrocarbures
Fakhreddine Messaoudi31 octobre 2022
Réserves mondiales : Vers un pic de la demande ou de l’offre en hydrocarbures ?

Depuis les années 80’s, nous ne cessons d’entendre que les réserves de pétrole sont en passe de s’épuiser et que nous arriverons très bientôt à la fin de l’ère pétrolière. Pourtant, et malgré le tarissement effectif de certains gisements, la quantité de pétrole encore disponible n’a cessé d’être réévaluée à la hausse. En cause : une amélioration des techniques d’exploration et de production pour le pétrole conventionnel, l’invention de nouvelles techniques permettant l’accès à du pétrole et du gaz dits non conventionnels, mais également de nouvelles découvertes dans le domaine offshore profond.

image - energymagazinedzEXPLOITATION D’UN CHAMP PÉTROLIER EN PENNSYLVANIE (ÉTATS-UNIS). © PENNSYLVANIA HISTORICAL & MUSEUM COMMISSION, WIKIMEDIA COMMONS, DOMAINE PUBLIC

Si au début de l’exploitation pétrolière la production à terre était très largement majoritaire, car plus facile d’accès, la part de la production offshore a doucement évolué, parallèlement à l’amélioration des techniques de prospection et de forage, mais également de l’épuisement progressif de certains réservoirs onshore. Au début des années 2000, le pétrole offshore représente environ 30% de la production mondiale. Il en est approximativement de même pour le gaz. Ce pourcentage est depuis resté relativement stable. Pourtant, le paysage des réserves pétrolières a bien évolué depuis le début du XXe siècle. Car si certaines réserves « classiques » semblent bien en passe de s’épuiser, de nouvelles découvertes mais également de nouvelles techniques d’exploitation viennent régulièrement réévaluer à la hausse les quantités de pétrole encore exploitables. Ceci explique pourquoi, malgré la crainte professée depuis plusieurs décennies maintenant d’un tarissement des réserves mondiales à court terme, celles-ci semblent toujours aussi bien se porter.

Un pétrole non conventionnel difficile à extraire, mais en énorme quantité

C’est un fait, les réserves d’hydrocarbures ne sont pas infinies. Pourtant, il semble compliqué de savoir dans combien de temps elles seront véritablement épuisées. Cette difficulté vient du fait qu’il existe une différence entre nos connaissances et la réalité. Les estimations des réserves d’hydrocarbures sont en effet réalisées à partir de l’état des réserves « prouvées ». Or, les réserves ultimes, celles qui existent en réalité, sont encore très mal connues. L’avancée continue de la recherche scientifique sur la compréhension des systèmes pétroliers, mais également sur les techniques d’extraction, fait que les réserves mondiales de pétrole et de gaz ont en moyenne augmenté de plus de 1% par an entre 1990 et 2005. En cause, notamment, l’exploitation de plus en plus importante des hydrocarbures dits « non conventionnels » (Pétrole et gaz de schiste), qui vient contrebalancer la diminution des réserves de pétrole et de gaz conventionnels.

Conventionnel versus non conventionnel, petite explication !

Les termes « conventionnel » et « non conventionnel » ne concernent pas le processus de formation des hydrocarbures en eux-mêmes, mais la nature du réservoir qui les emprisonne en profondeur. Dans le cas des hydrocarbures conventionnels, ils sont ainsi stockés dans une roche poreuse et perméable, formant des gisements facilement exploitables par simple forage. L’exploitation des hydrocarbures non conventionnels représente par contre une tout autre affaire. Ils sont en effet souvent dispersés dans des roches peu poreuses et peu perméables dans deux cas de figure qui rendent difficile leur extraction :

– Ils sont piégés dans la roche mère elle-même (un schiste de façon générale), et n’ont pas pu être expulsés totalement ou partiellement, et migrer vers des roches réservoirs poreuses et perméables. Quand ces roches sont en profondeur, elles nécessitent des forages horizontaux et des fracturations hydrauliques pour créer de la perméabilité permettant aux hydrocarbures ainsi piégés de remonter en surface. On peut parfois rencontrer cette roche mère en surface, c’est le cas des schistes bitumineux, ou encore les sables bitumineux, renfermant un pétrole lourd et visqueux qui nécessite des techniques d’exploitation plus complexes par la chaleur pour fluidifier le pétrole lourd.

– La deuxième catégorie concerne les réservoirs dits « compactes » (tight en anglais), pouvant être de nature gréseuse ou carbonatée, mais caractérisés par de très faibles caractéristiques pétrophysiques (porosité et perméabilités), qui rendent impossible l’extraction des hydrocarbures qu’elles renferment.

Auparavant délaissés au profit des hydrocarbures conventionnels, moins coûteux à extraire, les hydrocarbures non conventionnels deviennent de plus en plus intéressants face au tarissement progressif des réserves conventionnelles mais également grâce aux avancées technologiques qui permettent de réduire le coût de l’extraction.

D’énormes réserves sur les continents américains

La plupart des gisements pétroliers conventionnels se trouvent au Moyen-Orient, qui dispose ainsi de 52% des réserves prouvées, soit un peu plus que 900 milliards de barils. Par contre, l’Amérique du Sud et notamment le Venezuela sont riches en gisements de pétrole lourd et extra-lourd. Le bassin pétrolier de l’Orénoque contiendrait ainsi l’équivalent des réserves mondiales prouvées actuelles ! Le Canada concentre quant à lui les principales réserves de sables bitumineux et de leurs côtés, les États-Unis sont riches en schistes bitumineux. Malgré la forte diminution de leurs réserves conventionnelles, les États-Unis sont ainsi devenus les premiers producteurs mondiaux de pétrole, devant l’Arabie-Saoudite et la Russie, grâce à l’exploitation intensive du pétrole de schiste, dont les réserves semblent énormes.

En ce qui concerne le gaz naturel, la plupart des gisements conventionnels sont aussi concentrés au Moyen-Orient, qui dispose aussi de 48% des réserves prouvées, soit un peu plus que 82.000 milliards de M3. La Russie vient en deuxième position avec 30% des réserves (37.000 Md. M3). Par contre d’énormes réserves en gaz de schiste, techniquement récupérables, sont situés au niveau d’autres régions du monde dont :

  • La Chine en première position avec 31.500 Md. M3 de réserves, dont elle vient de démarrer l’exploitation
  • L’Argentine en seconde position avec 22.700 Md. M3 de réserves dont elle vient aussi de démarrer l’exploitation.
  • L’Algérie en troisième position avec 22.000 Md M3 mais qui ne les exploite pas en ce moment.
  • Et enfin les USA qui renferment 19.000 Md. M3, et qui les exploite depuis le début des années 2000, à tel point qu’aujourd’hui les USA sont les premiers producteurs de gaz naturel dans le monde avec près de 900 Md. M3 par an, assurant leur auto-suffisance et même d’importantes exportations vers l’Asie et l’Europe.  

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LES RÉSERVES ESTIMÉES EN GAZ DE SCHISTE (EN ROUGE). © ENERGY INFORMATION ADMINISTRATION, WIKIMEDIA COMMONS, DOMAINE PUBLIC

Le « Deep offshore », challenge technique mais nouvel eldorado ?

Si l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels a changé le schéma des réserves onshore, l’exploitation en offshore a elle aussi connu une petite révolution depuis une dizaine d’années.
L’exploitation à grande échelle en offshore a démarré dans les années 1950. Classiquement, il s’agit de plateformes reposant sur le fond, au large des côtes bordant les océans du globe. La profondeur d’eau est alors d’environ 200 mètres et le pétrole est extrait des réservoirs nichés au sein des sédiments, à plusieurs centaines de mètres sous le fond de la mer. Ces réservoirs sont hérités de la fragmentation des continents et de l’ouverture de nouveaux océans. Cet environnement géodynamique est en effet particulièrement propice au développement d’hydrocarbures.

Un défi technique

Mais comme pour le domaine onshore, une fois les réserves facilement accessibles en passe de s’épuiser, les industries pétrolières ont commencé à se tourner vers de nouveaux gisements, situés dans des zones plus difficiles d’accès. Progressivement, l’exploration s’est donc tournée vers les domaines plus profonds, dans des zones présentant 400 à 1.500 mètres de fond, voire bien plus. On parle ainsi désormais de « Deep offshore », avec parfois des gisements exploités sous des couches d’eau de plus de 2.000 mètres et situés à plus de 3.000 mètres sous le fond de la mer. Véritable challenge technique, la recherche de pétrole et de gaz dans ces zones très profondes a été favorisée par les avancées techniques dans le domaine de la prospection et des techniques d’exploitation, mais surtout grâce aux avancées de la recherche dans la compréhension de la structure et du développement des marges continentales.

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PLATEFORME PÉTROLIÈRE AU LARGE DES CÔTES BRÉSILIENNES. © DIVULGAÇÃO PETROBRAS – ABR, WIKIMEDIA COMMONS, CC BY 3.0 BR

Des réserves pendant longtemps insoupçonnées

Le « Deep Offshore » représente à présent environ 70 % des enjeux d’exploration de TotalEnergie par exemple. Parmi les principales zones en production actuellement, citons les bassins profonds situés dans le golfe de Guinée, ceux au large du Brésil, et dans le golfe du Mexique. Cet intérêt pour le « Deep Offshore » s’est emballé après la découverte, en 2006, d’un gigantesque champ pétrolier situé dans le bassin de Santos, à 250 kilomètres au large de la côte de Rio de Janeiro, au Brésil. Le réservoir est enfoui à 5.000 mètres sous le fond océanique, lui-même situé à 2.000 mètres de profondeur sous la surface de l’eau. Véritable exploit technique, le puits de Tupi (rebaptisé Lula par la suite) a révélé un gisement pétrolier si important qu’il est considéré comme la plus grande découverte pétrolière depuis 30 ans dans l’hémisphère ouest. Cet unique gisement aurait fait grimper, à lui seul, les réserves brésiliennes de plus de 60%. Avant cette découverte, le domaine ultra-profond n’était pas considéré comme une zone susceptible de renfermer des réserves si importantes. Tupi a donc fait prendre conscience que le milieu profond pouvait renfermer d’énormes réserves jusqu’à présent insoupçonnées.

Les découvertes en gaz naturel surtout, des deux dernières décennies au large des cotes Est et Ouest de l’Afrique, ainsi que celles réalisées au niveau du bassin Est Méditerranéen, ont aussi contribué à accroitre considérablement les réserves prouvées mondiales de gaz naturel qui sont de plus de 188.000 Md. M3 en gaz conventionnel, et plus de 200.000 Md. M3 en gaz non conventionnel techniquement récupérable.

image 3 - energymagazinedzCARTE PRÉSENTANT LA DISTRIBUTION MONDIALE DU PÉTROLE OFFSHORE : EN GRIS LES RÉSERVES POTENTIELLES, EN NOIR LES RÉSERVES PROUVÉES. © CORDES ET AL. 2016, FRONTIERS, CC BY 4.0

La fin du pétrole : Un problème géopolitique et climatique plutôt que physique

Même si les défis de l’exploitation des gisements dans le domaine profond ou ultra-profond sont nombreux, cette activité est actuellement en plein développement et montre que l’épuisement des réserves de pétrole et de gaz n’est certainement pas encore pour demain.

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 LES AVANCÉES TECHNOLOGIQUES ONT PERMIS D’ALLER EXTRAIRE DU PÉTROLE DANS DES ZONES DE PLUS EN PLUS PROFONDES. © OFFICE OF OCEAN EXPLORATION AND RESEARCHNATIONAL OCEANIC AND ATMOSPHERIC ADMINISTRATION (NOAA), WIKIMEDIA COMMONS, DOMAINE PUBLIC

« L’âge de pierre ne s’est pas arrêté faute de pierre, l’âge du pétrole ne s’arrêtera pas faute de pétrole », a dit un jour le « Cheikh Yamani », ancien Ministre du Pétrole en Arabie-Saoudite. Il a raison si on prend en considération les réserves d’hydrocarbures restant à ce jour et surtout celles qui restent à développer notamment les hydrocarbures non conventionnels. Mais la limite dans l’usage du pétrole et du gaz apparaît de plus en plus comme étant une problématique géopolitique et climatique, et non physique. On peut déjà le constater à travers l’évolution des investissements dans le secteur de l’énergie depuis 2014, ainsi que celle des marchés (offre et demande) :

  • Une forte réduction des investissements de renouvellement des réserves et des capacités de production au lendemain de la baisse du baril en 2014, accentuée par la pandémie du Covid en 2020, avec une baisse de la demande sur le marché pétrolier.
  • La reprise de la demande en 2021 est lente et a coïncidé avec une crise énergétique, puis un conflit majeure (russo-ukrainien), eux-mêmes suivis d’une hausse conséquente du prix du baril et surtout du gaz naturel, mais de peu d’investissements en matière de renouvellement des réserves ou des capacités de production.
  • Cette mème crise a entraîné pour le moment les plus gros consommateurs d’énergie à rechercher de nouvelles capacités de production (diversification des approvisionnements), mais aussi et surtout une orientation vers l’accélération d’une transition énergétique à travers le recours à de nouvelles sources d’énergie plus accessibles au consommateur, l’économie d’énergie, avec meme le retour au charbon et le maintien de l’option nucléaire.

Il apparait ainsi qu’il y a une sérieuse préoccupation au niveau de la demande future surtout en ce qui concerne le pétrole, et non une crainte de tarissement des réserves. La sortie du pétrole et du gaz ne se fera probablement en fonction de la volonté des consommateurs et celle des gouvernements prêts à imposer un réel changement du modèle de consommation énergétique, à travers une transition vers de nouvelles ressources énergétiques plus propres, et plus accessibles au consommateur.

POUR TOUTES CES RAISONS, IL EST FORT PROBABLE QUE FINALEMENT, LE PIC DE LA DEMANDE EN PETROLE SURVIENDRA BIEN AVANT CELUI DES RESERVES OU DES CAPACITES DE PRODUCTION. PAR CONTRE LE GAZ NATUREL SURVIVRA ENCORE DURANT PLUSIEURS DECENNIES

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