Stress hydrique : Faut-il se préparer au « peak-water » ?

Rédaction (A.M)
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Rédaction (A.M)11 janvier 2022
Stress hydrique : Faut-il se préparer au « peak-water » ?

LE 21ème SIECLE VA CORRESPONDRE A l’AVÈNEMENT GRADUEL D’UNE ERE OU L’EAU, LA TERRE, ET L’ENERGIE SERONT AU CENTRE DE TOUTE STRATEGIE OU POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT.

Le « peak-oil » est en train de devenir une évidence. Il se produira malgré l’avènement des hydrocarbures non conventionnels (gaz & pétrole de schiste). Les raisons, sont économiques (pénurie & rentabilité) et environnementales (lutte contre le réchauffement climatique). Les stratégies en cours de mise en œuvre sont variables et propres à chaque région ou pays. Elles sont basées sur de nouveaux modèles de consommation, de nouvelles ressources, et sur le progrès technologique. Même les « hydrocarbures non conventionnels » font partie de ces stratégies.

L’eau est aussi un enjeu d’ordre social, économique, écologique, sécuritaire et politique. Les stratégies envisagées pour y faire face sont basées sur les potentiels en eau existants, les caractéristiques météorologiques de chaque région ou pays et les impacts des changements climatiques de plus en plus évidents. L’accroissement des besoins en eau, celui de la sollicitation des ressources existantes mais qui sont de plus en plus différemment réparties par rapports aux besoins, nécessite ainsi de nouveaux modèles de consommation, et bien évidemment de nouvelles ressources.

Est-ce qu’il ne faut pas alors envisager et se préparer à un « peak-water » en matière de ressources en eau propre à la consommation (agricole, domestique, et industrielle), et accélérer par conséquent le développement de toutes les « ressources en eau non conventionnelles » (Eaux salées ou saumâtres, et bien sur les eaux de rejet polluées).

Dans les pays affectés par la sécheresse et le manque de ressources en eau, le dessalement est-il la solution idoine ? pour quel usage et à quel prix ?

L’Algérie est particulièrement affectée par un stress hydrique important, alors qu’en théorie elle dispose de ressources sous terraines importantes au Sud, d’une centaine de barrages au Nord, mais qui sont davantage impactés en matière de remplissage suite à des périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes.

Elle envisage d’y faire face à l’avenir par l’accélération du dessalement d’eau de mer, le traitement intensif des eaux de rejet, et l’économie d’eau.

Potentiel et répartition des ressources en eau conventionnelles.

L’Algérie est un pays dont 90% de la surface (2 millions de Km2 sur 2,3) correspond à une zone désertique qui s’accroît d’année en année. 39 millions d’habitants sont concentrés sur 14% du territoire, c’est-à-dire la zone côtière et les Hauts plateaux. Les 5 autres millions sont concentrés sur les autres 86 % du Sud, et plus précisément autour de zones industrielles (hydrocarbures) ou agricoles (Oasis).

« Les potentialités en eau de l’Algérie sur la base d’une pluviométrie statistique sont globalement estimées à 20 milliards de M3 par an, dont 75% seulement sont renouvelables (60% en eaux de surface, et 15% en eau souterraines). Les ressources non renouvelables sont essentiellement situées au Sud, (avec 45 à 50 Mds M3 en place) dans deux aquifères, à raison d’environ 56% dans le Continental Intercalaire, et 44% dans le Complexe Terminal ». (Ref : CNES-2000). Ces deux puissants aquifères sont actuellement exploités à raison de 3 Mds M3 environ par an. Il existe aussi d’autres nappes sous terraines toutes non renouvelables. Elles se situent essentiellement au Sud au niveau des bassins de la Saoura, Tindouf, Reggane et le Hoggar. Leur potentiel est estimé à 780 millions M3, dont environ 220 millions M3 sont actuellement exploités chaque année.

Le déficit pluviométrique enregistré depuis 1975 est estimé en moyenne à 35%, avec un pic qui a parfois dépassé les 50% (2002). Le potentiel actuel s’est ainsi réduit au cours des deux dernières décennies à environ 15 à 17 Mds M3 à raison de 10 à 12 Mds M3 en ruissellement, pour renouveler en partie le remplissage des barrages et les nappes sous terraines et 5 Mds M3 à partir des nappes non renouvelables du Sud.

Les ressources mobilisables à partir des 85 barrages depuis 2002 dépendent de leur taux de remplissage qui a été en moyenne inférieur à 50% sur toute la période, soit environ 4 à 5 Mds M3 en moyenne sur les 9 Mds M3 en capacité totale. Le reste des eaux mobilisées provient des nappes souterraines exploitées par environ 26.000 puits, à raison d’environ 6 à 7 Mds M3 entre les nappes du Nord et du Sud surtout. Ce qui permet d’estimer cette mobilisation entre 10 et 12 Mds M3 par an en moyenne à partir des eaux conventionnelles.

Potentiel en eaux non conventionnelles

Elles sont de deux types, les eaux de rejet qu’elles soient d’origine domestique, industrielle, ou agricole et les eaux dessalées. Toutes peuvent être traitées et redistribuées pour des besoins variés en fonction du mode de traitement.

Il existe un peu plus de 250 stations de traitement des eaux usées d’une capacité d’un milliard M3, mais qui traitent à peine 450 millions M3 dont seuls 50 millions sont utilisés en irrigation.

La deuxième ressource correspond à celles qui peuvent provenir des surplus d’irrigation, notamment dans les régions du Sud. Elles provoquent des dégâts importants à travers la remontée des eaux. Leur drainage et traitement pourraient procurer des volumes réexploitables appréciables au moins en matière de renouvellement de certaines nappes aquifères. On peut citer l’exemple de l’Oued Ghir alimenté par le drainage d’une multitude d’oasis. Il arrive à alimenter actuellement le Chott Echergui à raison d’au moins 150 à 200 millions M3 par an qui finissent par s’évaporer.

Toujours au Sud, il existe de nombreux aquifères peu profonds. Ils contiennent des eaux saumâtres non renouvelables, dont on connait peu les ressources. Ces eaux sont tout à fait utilisables pour peu qu’elles fassent l’objet d’un dessalement au même titre que les eaux de mer.

Mais la ressource la plus importante et la moins exploitée actuellement, est celle provenant du dessalement de l’eau de mer sur la cote, avec 11 stations d’une capacité de 770 millions M3 et une production moyenne de 550 millions M3 par an. Cette faible performance est principalement due au mode de gestion et à la maintenance des équipements qui ont d’ailleurs provoqué l’arrêt total de la station de souk Tleta (Wilaya de Tlemcen) depuis deux ans.

Les besoins en eau

On peut donc estimer qu’avec une population actuelle de 43 millions d’habitants, la dotation est d’environ 400 litres par habitant et par an (comprenant tous les usages : AEP-Agriculture-Industrie) à partir du potentiel brut en eau (17 Mds M3 en ruissellement à partir de la pluviométrie, et nappes souterraines), mais seulement de 300 litres à partir de la production moyenne (12 Mds M3).

Le seuil de pénurie fixé par le PNUD ou celui de rareté par la Banque Mondiale est de 1000 M3 par habitant et par an. De ce fait, l’Algérie est caractérisée par un stress hydrique important, et se situe comme 17 autres pays Africains dans la catégorie des pays pauvres en ressources hydriques avec moins de 100 litres d’eau potable par jour et par habitant contre 250 litres en Europe.

Le problème est beaucoup plus sérieux si on prend en considération la nécessité impérieuse d’assurer sa sécurité alimentaire, parce qu’en principe, au moins 70% des ressources en eau doivent être consommées dans le secteur agricole. Or le moindre déficit entrainera l’arbitrage entre les différentes catégories de consommation souvent au détriment de l’irrigation, alors que le programme du gouvernement cite un objectif d’irrigation sur deux millions d’hectares.

Il y a enfin l’impérieuse transition économique qui passe par l’exploitation de nombreuses ressources naturelles dans le secteur des mines, et le développement d’une industrie de transformation, consommatrice d’eau. On peut citer à titre d’exemple les deux projets intégrés de fer à Gara Djebilet et de phosphate à Tébessa, dont le besoin en eau est un facteur contraignant à ce stade. Le secteur de l’énergie envisage de son côté aussi non seulement la poursuite de l’exploitation des hydrocarbures sur plusieurs décennies, mais aussi la production d’hydrogène vert à travers l’électrolyse de l’eau. L’exploitation des hydrocarbures conventionnels consomme de nos jours entre 75 et 100 millions M3 par an. Celle des hydrocarbures non conventionnels pourrait nécessiter environ 150 millions M3 par an (à raison de 200 pads de 10 puits chacun par an). Soit un total de 250 millions M3 par an en amont, auxquels il faudrait rajouter les volumes à consommer en aval pour le raffinage, la pétrochimie, et l’hydrogène.

Faire face au « peak water »

La première voie pour améliorer la disponibilité d’eau potable surtout, consiste à faire appel à un maximum de production d’eau dessalée aussi bien au niveau des zones côtières, que dans le sud à partir des eaux saumâtres souterraines. Le programme en cours de réalisation ou planifié à l’horizon 2030 comporte déjà 8 nouvelles stations de dessalement d’une capacité de 100.000 à 300.000 M3 par jour chacune et 5 petites stations d’une capacité de 30.000 à 40.000 M3 par jour chacune. La capacité de production additive est supposée atteindre 270.000 M3 par jour dès 2023, puis atteindre 2,5 millions M3 par jour en 2025, soit environ 825 millions M3 additifs par an à partir de cet horizon.

Il faut cependant tenir compte qu’il ne s’agit-là que d’une capacité de production qui est essentiellement destinée à réduire le déficit actuel en eau potable, d’une population en croissance. Dans un scénario de poursuite du déficit pluviométrique, d’augmentation de la population à un niveau de 48 millions d’habitants en 2025 et qui ne tiendrait compte que de cette production additive, la dotation en eau par habitant va rester la même qu’en 2021 ou pourrait même reculer, à moins de parier sur une nette amélioration de la pluviométrie.

Il faudra par conséquent non seulement poursuivre les efforts de dessalement, mais surtout accélérer comme pour l’énergie, la mise en œuvre d’un ambitieux programme d’économie d’eau. Il s’agit de lutter contre le gaspillage par tous les moyens, sous toutes ses formes : les pertes à travers aussi bien les canalisations que les procédés d’irrigation, ou encore l’adaptation des cultures agricoles à la rareté de l’eau. C’est un gisement beaucoup plus important que le dessalement, et certainement moins cher.

L’autre ressource à exploiter est celle des aquifères situés au Sud du pays. Une partie d’entre eux n’est pas très profonde et contient des volumes appréciables mais saumâtres, et qui peuvent parfaitement être dessalés comme c’est le cas de l’eau de mer.

La ressource la plus importante est cependant celle contenue dans les deux aquifères (Continental Intercalaire et Complexe Terminal) non renouvelables (ou très peu), plus profonds, avec un volume estimé entre 45.000 et 50.000 Mds M3 en place. Toutes les eaux piégées dans la partie Nord-Est de ces complexes sont généralement très chargées en sels minéraux et peuvent être dessalées pour un usage sur place ou transférées vers d’autres régions pour des besoins aussi bien domestiques qu’agricoles. Un premier transfert a déjà été réalisé à partir d’In Salah vers Tamanrasset pour 36 millions M3 par an. Les 6 autres projets de transfert vers les hautes plaines et les hauts plateaux prévoient de transférer 450 millions M3 par an.

La bataille de l’eau n’est pas aussi simple qu’on peut le croire. Elle pourrait rapidement devenir une préoccupation beaucoup plus importante que celle de l’énergie, à l’horizon 2030.

  • Note :
    Le « peak-oil » est la date ou le moment à partir duquel le volume des réserves en pétrole dont nous avons besoin, entame une chute sans possibilité de renouvellement. Ce qui implique la nécessité de le prévoir et d’assurer le recours à des ressources et des solutions palliatives.
    Le « peak-water » est la date ou le moment à partir duquel le volume des ressources en eau « conventionnelle » ne peut plus couvrir les besoins pour de multiples raisons (baisse ou stagnation de la pluviométrie, accroissement des besoins, dégradation de sa qualité). Ce qui nécessite aussi le recours à des solutions palliatives.
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