Tuer l’économie russe en plafonnant le baril de pétrole à 60 dollars ? Une fausse bonne idée !

Rédaction (A.M)
Hydrocarbures
Rédaction (A.M)10 décembre 2022
Tuer l’économie russe en plafonnant le baril de pétrole à 60 dollars ? Une fausse bonne idée !
A. Madjid - F.Messaoudi

Les membres du G7 (incluant l’Australie) ainsi que l’Union Européenne ont décidé de plafonner les prix mondiaux du pétrole russe à 60 dollars le baril à partir du 5 décembre. Ce plafonnement a pour but de réduire sensiblement, en théorie, les recettes d’exportation de la Russie.
Depuis le début de l’année, la Russie (troisième producteur mondial de pétrole, second producteur de gaz) est en effet, avec l’Arabie saoudite(second producteur mondial de pétrole), le grand gagnant de la crise énergétique qui frappe actuellement tous les pays développés.

Selon le Fonds monétaire international (FMI), la Russie a, en 2022, engrangé 137 milliards de dollarsde recettes supplémentaires, alors que l’Allemagne a vu sa balance des paiements plonger dans le rouge, avec un déficit de 145 milliards de dollars. Globalement, tous les pays pétroliers (Algérie, Qatar, Iran, Norvège, Émirats arabes unis, Irak, Koweït) ont une balance des paiements largement excédentaire alors que, pour les principaux pays de l’OCDE(US, Japon, Royaume-Uni, France, Corée du Sud), une forte dégradation a été observée.

Un phénomène déjà observé dans le passé. La dette moderne des pays de l’OCDE est née avec le premier choc pétrolier. Alors qu’elle avait atteint, en France, plus de 200% du PIB après le dernier conflit mondial, la dette française avait été progressivement réduite au cours des années 1950, puis contenue durant les années 1960. Une période de plein-emploi et sans inflation au cours de laquelle la croissance caracola pendant quinze ans au-dessus de 5 % par an. Durant cette période de reconstruction et de décolonisation, le consommateur (c’est-à-dire les pays riches) continua d’imposer au producteur (les pays pauvres) le prix des matières premières. Une aubaine ! Alors que la consommation pétrolière augmentait en moyenne de 6 % par an, le baril de pétrole restait quant à lui figé autour de 1 dollar.

Le premier choc pétrolier faisant suite à la guerre du Kippour marqua une rupture profonde aux conséquences majeures à la fois économiques et sociétales pour les pays développés. Du « règne des consommateurs », on était passé au « règne des producteurs ». Organisés en cartel (l’OPEP), ces derniers imposèrent soudainement une hausse massive des prix du pétrole. Pour les pays de l’OCDE, l’événement marqua un terme à la croissance des Trente Glorieuses et au plein-emploi. L’inflation et le chômage firent leur retour. Pour la première fois, la dépendance des sociétés occidentales aux hydrocarbures apparaissait au grand jour.

La manne pétrolière ne fut pas pour autant synonyme de fortune pour les pays producteurs, presque tous victimes de la « syndrome hollandais », caractéristique des économies dites de « rente ». Reposant principalement sur l’extraction de ressources minières (métaux, pétrole ou gaz), les économies de rente accumulent du capital non investi engendrant de facto des activités peu productives et non diversifiées. Ainsi en est-il de la Russie « Poutinienne » dont le PIB évolue au gré des cours de l’or noir.
Baisser autoritairement le prix du baril pour étrangler l’économie russe tout en allégeant la balance des paiements des pays de l’OCDE peut apparaître, sur le papier, comme une solution « gagnant-gagnant ». La mesure est-elle pour autant crédible et peut-elle réellement avoir une portée mondiale ? Pas si sûr.

La pression sur les compagnies d’assurance peut-elle être efficace ?

C’est oublier un peu vite que le pétrole est une matière première fongible. Bateaux, trains, camions, oléoducs : Contrairement au gaz, l’or noir peut aisément circuler partout sur la planète. Ainsi, un baril russe refusé par l’Union Européenne peut très facilement être dérouté vers le Moyen-Orient ou le Sud-Est asiatique avec un discount inférieur au prix du marché (90 dollars aujourd’hui) mais nettement supérieur aux 60 dollars imposés par le G7. Conscients de ces difficultés, les pays signataires vont imposer ce plafond de prix aux armateurs couverts par des sociétés d’assurance basées dans les pays du G7 et de l’Union Européenne.

Selon le cabinet Claksons Research, « plus de 1 000 navires opérant dans les flottes fantômes de la Russie, de l’Iran et du Venezuela. La flotte mondiale totale de pétroliers s’élève à 11 716 navires ». Une autre étude de Trade Winds estime que « Près de 400 pétroliers ont été vendus à des acheteurs inconnus ou à de nouveaux venus dans le secteur depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, signe d’un potentiel changement de contrôle de la flotte mondiale ». On assiste par conséquent à la naissance d’une sorte de « nouveau maché parallèle » dans le transport maritime de pétrole dont les acteurs, nouveaux propriétaires ou ceux ayant décidé de « quitter les registres européens », veulent poursuivre leur activité en transportant du pétrole russe avec un gain deux fois supérieur.
Ainsi la nouvelle règle qui consiste à refuser l’assurance de ces armateurs risque de s’avérer très fragile et peut être aisément contournée quels que soient les contrôles. Ainsi, le New York Times anticipe que « pour contourner le dispositif, la Russie s’appuiera sur des pétroliers prêts à opérer sans assurance occidentale ». Il est donc peu probable que le plafonnement réduise radicalement les revenus pétroliers russes.

En revanche, la modification des flux pétroliers mondiaux pourrait renchérir les prix en Europe. Ainsi, un baril russe acheté à 70 ou 80 dollars par un armateur chinois ou indien pourrait être aisément revendu à Rotterdam à 90 dollars voire davantage comme baril « non russe ». Bien que la composition chimique d’un baril de pétrole puisse donner des indications sur sa provenance, il est fort peu probable qu’un traçage mondial soit mis systématiquement en place.

Pour l’Europe, le risque se situe surtout au niveau des produits raffinés. De nombreuses raffineries européennes « calibrées » sur le pétrole brut russe devront baisser leur production, ce qui renchérira inexorablement les marges de raffinage et, donc, les prix à la pompe.

Le citoyen européen risque, une fois encore, d’être le dindon de la farce d’une « fausse bonne idée » décidée par un ensemble de politiques qui aveuglément, et dans une certaine perspective, combattent la Russie et non pas le conflit Russo-Ukrainien.

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