Le chemin de fer de la résistance et du développement, deux projets : Iran-Irak-Syrie et Algérie-Mali-Niger (…)

Fakhreddine Messaoudi
2024-04-24T13:51:12+02:00
Mobilité & Transport
Le chemin de fer de la résistance et du développement, deux projets : Iran-Irak-Syrie et Algérie-Mali-Niger (…)

Sir Halford John Mackinder, l’un des théoriciens britanniques les plus distingués dans le domaine de la géopolitique, traite de l’importance de la connectivité terrestre entre les nations dans son essai de 1904 intitulé The Geographical Pivot of History (Le pivot géographique de l’histoire).

Outre l’introduction de sa célèbre théorie du Heartland, Mackinder soutient que les progrès des technologies de transport, tels que le développement des chemins de fer, ont modifié l’équilibre des pouvoirs dans la politique internationale en permettant à un État puissant ou à un groupe d’États d’étendre son influence le long des voies de transport.

La création de blocs, comme l’UE ou les BRICS, par exemple, vise à améliorer la communication entre les Étatsmembres. Cet objectif a des répercussions positives sur l’économie et contribue à réduire le risque de tensions entre les Étatsmembres.

Le coût de ces tensions a considérablement augmenté, compte tenu des avantages croissants et des intérêts communs obtenus grâce au renforcement des liens entre les nations. Par conséquent, le renforcement des connexions au sein d’une région spécifique a un impact positif sur l’ensemble de la zone. Par conséquent, tout projet d’infrastructure entre pays ne peut être considéré uniquement d’un point de vue économique, ses effets géopolitiques doivent également être mis en évidence.

L’Asie occidentale connectée par le chemin de fer

En juillet 2018, SaeedRasouli, directeur des Chemins de fer de la République islamique d’Iran (RAI), a annoncé l’intention du pays de construire une ligne ferroviaire reliant le golfe Persique à la mer Méditerranée, la liaison ferroviaire Iran-Irak-Syrie. Ce projet ambitieux irait de Bassorah, dans le sud de l’Irak, à Albu Kamal, à la frontière irako-syrienne, et s’étendrait ensuite jusqu’à Deir Ezzor, dans le nord-est de la Syrie.

Il ne fait aucun doute que ce projet renforce la communication entre les pays d’Asie occidentale et accroît la nécessité pour d’autres puissances de collaborer avec cette région importante, qui est stratégiquement située dans certaines parties du « Heartland » de « Mackinder » et du « Rimland » de l’Eurasie de Nicholas Spykman.

En outre, conformément à la proposition de Mackinder, on peut affirmer que ce projet ferroviaire revêt une importance géopolitique pour les trois pays concernés – l’Iran, l’Irak et la Syrie – et pour l’Asie occidentale dans son ensemble. L’idée d’une liaison ferroviaire entre l’Iran et l’Irak est apparue il y a plus de dix ans. En 2011, l’Iran a achevé la construction du chemin de fer Khorramshahr-Shalamjah, long de 17 kilomètres, qui visait à relier les chemins de fer iraniens à la ville de Bassorah. Par la suite, en 2014, un protocole d’accord a été signé entre Téhéran et Bagdad pour la construction de la ligne Shalamjah-Basra.
Selon l’accord, l’Iran était responsable de la conception et de la construction d’un pont sur la rivière Arvand, tandis que la partie irakienne s’engageait à construire une ligne ferroviaire de 32 kilomètres entre la frontière de Shalamjah et la gare de Bassorah, à l’intérieur du territoire irakien.

Destination finale : Syrie

Le 14 août 2018, l’Iran a annoncé son intention d’étendre le chemin de fer de son territoire à la Syrie, avec la participation de l’Irak. Cette initiative vise à contrer les sanctions occidentales et à renforcer la coopération économique. Le projet ferroviaire débuterait au port Imam Khomeini sur le golfe Persique, situé dans la province iranienne du Khuzestan (sud-ouest), jusqu’au point de passage de Shalamjah à la frontière irakienne. De là, la voie ferrée traverse la province irakienne de Bassorah, franchit Albu Kamal à la frontière syrienne et aboutit au port méditerranéen de Lattaquié.

Des sources officielles iraniennes ont déclaré que cette voie ferrée « contribuerait aux efforts de reconstruction de la Syrie, renforcerait le secteur des transports et faciliterait le tourisme religieux » entre l’Iran, l’Irak et la Syrie. L’Iran prendrait en charge les coûts du projet sur son propre territoire, tandis que l’Irak apporterait sa contribution jusqu’à la frontière syrienne.

Lors de la visite de l’ancien président iranien Hassan Rouhani en Irak en mars 2019, un protocole d’accord sur le projet a été signé entre Téhéran et Bagdad. Cependant, malgré les accords, la partie irakienne a été confrontée à des défis économiques et à un manque de fonds, ce qui a entraîné un retard dans la construction du chemin de fer.

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Trois sections

Le projet ferroviaire peut être divisé en trois sections :

  • La première section relie le port ImamKhomeini au point de passage de Shalamjah à la frontière irakienne. Selon le ministre iranien des routes et du développement urbain, Mehrdad Bazrpash, la ligne ferroviaire en Iran a été achevée et a atteint le point zéro de la frontière.
  • Le deuxième tronçon reliera le point de passage de Shalamjah à Bassorah, dans le sud de l’Irak, puis s’étendra jusqu’à Bagdad, la province d’Anbar et, enfin, la frontière syrienne. Le financement de cette section, selon l’accord, relève de la responsabilité du gouvernement irakien. Le début de cette phase est attendu prochainement.
  • Le troisième tronçon, à l’intérieur de la Syrie, comprend deux routes : La route nord s’étend entre al-Qaim en Irak et Albu Kamal en Syrie, puis se dirige vers l’ouest en direction du port syrien de Lattaquié. L’itinéraire sud va du point de passage d’al-Qaim à la frontière irako-syrienne jusqu’à Damas en passant par Homs.

Il convient de noter que, bien que la route la plus courte vers Damas passe par al-Tanf, c’est le corridor Homs-Damas, plus long, qui a été retenu en raison de la présence des forces d’occupation américaines illégales dans cette région. Cela permet également aux chemins de fer de traverser un plus grand nombre de villes syriennes.

Importance économique

Bien que la ligne ferroviaire entre l’Iran et l’Irak ne s’étende que sur 32 km et coûte environ 120 millions de dollars, répartis à parts égales, son importance va bien au-delà de sa longueur. Elle servira d’unique liaison ferroviaire entre les deux pays et jouera un rôle crucial dans l’amélioration des communications dans l’ensemble de la région en reliant les lignes de l’initiative chinoise Belt and Road Initative (BRI) à l’Irak via l’Iran. Une fois achevé, le projet permettra à l’Irak de se connecter facilement au vaste réseau ferroviaire iranien, qui s’étend jusqu’à la frontière orientale de l’Iran. Cette liaison permettra à Bagdad de se connecter à l’Afghanistan, au Pakistan, à la Chine, au Caucase, à l’Asie centrale et à l’Extrême-Orient.
En outre, à l’avenir, le projet fait de l’Irak une voie de transit pour le commerce entre les pays arabes de la région du golfe Persique et l’Asie centrale, ainsi que la Russie. L’Iran et la Russie viennent d’ailleurs de signer un accord pour la création d’une ligne de chemin de fer reliant les villes iraniennes d’Astara et de Rasht, dans le cadre du corridor international de transport nord-sud (INSTC).

La ligne ferroviaire contribue également à la promotion du tourisme religieux entre les trois pays, qui abritent plusieurs sanctuaires chiites importants. En septembre 2022, plus de 21 millions de personnes du monde entier, dont 3 millions d’Iraniens, se sont rendues en Irak pour le pèlerinage annuel d’Arbaeen dans la ville sainte de Karbala. Ce chiffre est susceptible d’augmenter de manière significative grâce à la liaison ferroviaire, ce qui se traduira par une augmentation des recettes pour le Trésorirakien.
En outre, le projet permet de contourner les sanctions occidentales et les pressions extérieures exercées sur les trois pays, en particulier l’Iran et la Syrie. Il renforce l’indépendance de ces nations et réduit la probabilité que des puissances étrangères s’immiscent dans les relations économiques des pays concernés par le projet.

Obstacles à la mise en œuvre du projet

Malgré les accords signés, le projet de chemin de fer Téhéran-Bagdad-Damas a suscité des réactions mitigées en Irak, ce qui a entraîné un manque d’enthousiasme pour la mise en place de la liaison ferroviaire. En Mars 2023, le ministère des transports a publié une clarification concernant la liaison ferroviaire avec l’Iran, soulignant que le projet ne concernait que le « transport de passagers ».
Les politiciens irakiens ont exprimé leur crainte que la liaison ferroviaire avec l’Iran n’entrave le projet de canal sec de leur pays, qui vise à relier le port de Faw, dans la province de Bassorah, aux frontières turque et syrienne. Ils estiment que le grand port de Faw est stratégiquement positionné comme le point le plus proche pour le fret maritime vers l’Europe, ce qui pourrait apporter des avantages économiques et des opportunités d’emploi. Ces préoccupations découlent de la crainte que le port Imam Khomeini en Iran ne gagne en importance, ce qui diminuerait l’importance du port de Faw.

Mais les préoccupations irakiennes offrent en fait l’occasion de relier l’Iran au canal sec, ce qui renforcerait l’importance stratégique des deux projets et consoliderait la position de l’Irak en tant que plaque tournante du commerce régional. Dans un avenir proche, la communication et la coopération entre ces voisins seront cruciales pour contrecarrer les efforts extérieurs visant à entraver l’interdépendance économique des trois pays.

Un voyage prometteur

Le projet de liaison ferroviaire tripartite revêt une importance considérable, car il relie ces pays au sein d’un réseau plus vaste, semblable à la route de la soie historique qui a facilité le commerce entre l’Est et l’Ouest pendant des siècles. Le projet ferroviaire a la capacité d’initier une transformation majeure en Asie occidentale s’il se concrétise et s’étend à des pays comme l’Arabie saoudite, la Jordanie et le Liban. Leur participation permettrait non seulement de réduire les tensions entre les États de la région, mais aussi d’obtenir des résultats économiques positifs, de stimuler le tourisme, en particulier le tourisme religieux, et de renforcer les liens interrégionaux.

En reliant les principaux acteurs d’une région géopolitiquement stratégique, la liaison ferroviaire Téhéran-Bagdad-Damas pourrait jeter les bases d’un nouveau paradigme en Asie occidentale, qui favoriserait la connectivité, la stabilité et la prospérité.

Comme en témoignent les récents accords de rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite et entre la Syrie et l’Arabie saoudite, la région est dans un état d’esprit de collaboration et recherche activement le développement économique plutôt que le conflit. La Chine et la Russiedeux puissances à l’avant-garde des plus grands projets d’interconnexion de l’Eurasie (BRI et INSTC) – jouant un rôle d’intermédiaire et influençant bon nombre de ces initiatives diplomatiques, il faut s’attendre à ce que les chemins de fer, les routes et les voies navigables commencent à relier des pays qui ont été en désaccord pendant des décennies.

L’Afrique subsaharienne bientôt connectée à la Méditerranée grâce à l’Algérie

La percée de l’Algérie vers l’Afrique se précise de plus en plus. Alors que le projet de la route transsaharienne Alger-Lagos sera bientôt finalisé, un autre projet  d’envergure international, il s’agit de l’extension du réseau ferroviaire vers l’extrême sud (Tamanrasset) qui est d’ores et déjà lancé

Selon une vidéo postée sur le site officiel de l’ANESRIF(l’Agence nationale d’études et de suivi de la réalisation des investissements ferroviaires), en collaboration avec la SNTF, quatre nouvelles lignes ferroviaires sont au programme. Il s’agit de la ligne Port El Hamdania – Tamanrasset sur une longueur de 1900 km, en passant par Tipasa, Blida, Bouira, Djelfa, Lagouat, Ghardaia, Meniaa, AinSalah et Tamanrasset.
La deuxième ligne de 572 km, reliera le port de Djen Djen (Jijel) à Hassi Messouad, en passant par les wilayas de Jijel, Constantine, Batna, Biskra, El Meghaier, Touggourt et Hassi Messaoud. Quant à la troisième ligne, elle liera le port d’Oran à Tindouf sur une longueur de 1650km en passant par Sidi Bel Abbes, Naama, Bechar, Tindouf pour arriver, enfin, à GharDjebilet, où se trouve une importante mine de fer. Un groupement Algéro-chinois a été déjà créé pour entamer, dès 2024, l’exploitation de ce gisement.

Enfin, la quatrième ligne reliera le port d’Annaba avec l’extrême Sud, Touggourt et Hassi Messaouad, en passant par les wilayas d’El Taref, Guelma, Souk Ahras, Tebessa, Oued Souf et Hassi Messaoud. Une fois ce projet réalisé, la verticale Nord-Sud sera renforcée. « Nous sommes déterminés à ce que ce projet réussisse vu son importance économique et sociale », avait souligné le ministre des Transports l’année dernière lors de son passage à la Radio Algérienne.

Le transport ferroviaire est une alternative efficace à la maitrise des coûts de transport de marchandises, notamment pour réduire considérablement les embouteillages, le désenclavement des régions et l’instauration d’un développement régional équilibré. Ainsi, à travers ce genre de projets, l’Algérie améliorera son interactivité pour l’investissement, notamment les IDE et, surtout, une percée en Afrique pour le produit made in Algérie.
Dans ce contexte, l’expert en économie Ahmed Souahlia a souligné l’importance de ce projet « C’est à travers ces projets d’infrastructures de base qu’on va désenclaver les régions isolées et assurer la liaison des différentes régions du pays avec de nouveaux moyens de transport » dira-t-il.
Ceci permettra, ajoute-t-il également, d’améliorer l’attractivité de l’Algérie, en captant de nouveaux investisseurs pour la création de valeur ajoutée à l’économie nationale. « Nous sommes la porte de l’Afrique. La volonté politique affichée par le gouvernement pour la diversification de l’économie et le développement des activités des services, le transport notamment, donnera certainement un nouveau souffle et une dynamique à l’activité économique dans le pays et également en matière d’échanges commerciaux », souligne-t-il. Avant de conclure : « Le développement du segment du transport (terrestre, maritime et ferroviaire) est vital pour l’économie algérienne et, également, pour les pays africains. D’ailleurs, l’ambition de l’Algérie sur le plan international est de créer des alliances entre pays africains pour l’exploitation optimale de ressources naturelles africaines et d’en finir avec la dominance des Occidentaux et autres puissances étrangères ».

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